Idées

POINT DE VUE :Une intervention tonifiante de Jean Paul DELAHAYE le 26 Septembre 2023 lors du diner débat de DEMOCRATIES




Enfants pauvres =enfants de familles pauvres c’est-à-dire selon l’INSEE /14,50%de la population ,revenu inférieur au seuil de pauvreté -60% du revenu moyen- soit environ 10 millions (selon Maurin présence de revenus modestes dans ce chiffre..)
Selon l’observatoires des inégalités :50% du revenu médian -940euros pour personne seule environ 5millions
La grande pauvreté environ 2 millions
Nous parlons d’une question permanente dans notre système éducatif : porter au maximum de leurs possibilités tous nos élèves y compris les plus pauvres

Mon collègue Jean Paul Delahaye dans un ouvrage très documenté affirme brutalement :
L’école n’est pas faite pour les pauvres ! (éditions le bord de l’eau -2022-14 euros)

Comment peut on être aussi provoquant alors que notre système éducatif a fait des progrès fantastiques depuis jules Ferry et que nombreux sont les enfants qui ont accédé à des fonctions éminentes à travers notamment les ENI. aidés en cela par ces chasseurs de talents que furent les instituteurs .( V Hugo « les maîtres c’école sont des jardiniers en intelligence humaine » ) Mais malgré ces succés incontestables , »exceptions consolantes «(Ferdinand Buisson )  attention de ne pas mettre au pinacle l’arbre qui cache la forêt De tout temps il y eut des enfants de chaisière ( Péguy)ou des élèves de M Germain (Camus )

Sans nier ces réalités JP Delahaye nous a montré que notre système éducatif s’est construit , parfois en toute bonne fois , comme un moyen de renforcer les inégalités scolaires. en donnant plus à ceux qui ont plus .Un exemple flagrant : les dotations aux CPGE 3. à 4. fois supérieur à celles d’un étudiant à l’université alors que les catégories. les plus favorisées y sont sur représentées. Les sommes. consacrées à un élève de ZEP sont 40 fois moindre que celles attribuée à un élève de classe préparatoire….

Le dernier rapport de l’OCDE relève que 36% des élèves défavorisés ont de mauvais résultats contre 7% des favorisés

Même avec de bons résultats en début de scolarité , 7 ans plus tard prés des 75% des élèves d’origine favorisée gagnent l’enseignement supérieur contre 25% pour les origines modestes .et le phénomène se poursuit dans le supérieur aggravé par le choix des filières (voir le dernier rapport de France stratégies. -sept 2023)

Sont ils moins intelligents , ?

ON pourrait multiplier les exemples.

Alors ne nous étonnons pas. de constater que notre école ne réussit bien que pour 50% de nos élèves

Que faire , ?

Dans un système compliqué , inutilement , qui pénalise les non initiés culturels il n’est pas étonnant que les écarts certes moins importants que dans l’ensemble de la société fasse de la France dans l’OCDE le pays ou l’origine sociale est la plus déterminante pour la réussite scolaire ( constat fait encore récemment par l’Institut Montaigne et France Stratégies (septembre 2023 )

Si on ajoute à cela l’absence de courage, sauf exception, des politiques tant de droite que de gauche pour lutter contre l’hypocrisie de nos concitoyens qui ont tendance à approuver les mesures contraignantes ( ex la carte scolaire ,la durée des vacances scolaires -la mixité scolaire… ) à condition qu’elles s’appliquent aux autres ,on comprend mieux l’accumulation de reformes que peu de gens d’ailleurs comprennent y compris les enseignants sans parler évidemment des parents .

Pourtant il existe des solutions

Le dernier. rapport de l’OCDE en déroule quelques unes L’ Institut Montaigne a publié il y a peu un long dossier sur le sujet m^me si les solutions avancées fleurent bon le retour en arrière…. et enfin souvenez vous de la réaction appropriée de l’Allemagne suite aux résultats de PISA en 2000 On a pu parler de « choc pisa » qui a entrainé des réformes profondes dans un pays sûr de lui dans le domaine éducatif et compliqué avec les länder CE FUT UNE

REUSSITE

Ne sommes nous pas capable de faire de même ?

Ces mesures sont d‘ordre pédagogique et d’organisation ainsi que de répartition de moyens mais dans la durée , telles les politiques de mixité sociale ( toutes les études tant internationales que nationales montrent que mélanger des élèves de faible niveau avec des élèves de niveau supérieur améliore la réussite des premiers sans dégrader celle des seconds mais qui a le courage d’imposer cela aux parents , en particulier aux parents de la classe moyenne et supérieure ? Et aux enseignants ?) , les ZEP …., le bac pro..

Donner plus à ceux qui ont moins est une bonne démarche à condition de ne pas la mettre en œuvre que lorsqu’on a des moyens supplémentaires donc souvent marginaux

Est on prêt par exemple à diminuer très sensiblement les moyens des lycées de centre ville pour une meilleure répartition au bénèfice des banlieues ?Plus largement JPDelahaye met en évidence le fait que le primaire est sous doté et que le lycée avec ses multiples options et sa charge horaire est très largement financé. Là aussi est on prêt à affronter les classes supérieures et moyennes en transférant des moyens des lycées vers le primaire ?

Je n’oublie pas la question centrale de la rémunération des enseignants …et de leur formation (pourquoi avoir supprimer les. PEGC ?)

Prenons l’exemple de la formation des instituteurs que l’on a rebaptisé « professeurs de écoles «  au motif qu’ils changeaient de catégorie au regard de la fonction publique (de catégorie B ils passaient en catégorie A …..) en oubliant simplement que leur fonction restait la même (même si le contexte sociologique est bien diffèrent pour les élèves et les maitres )et qu’ils étaient des polyvalents enseignant toutes les disciplines des maths , de l’histoire, des sciences …Or la mastérisation sans discernement (toutes les licences sont acceptées …°) a abouti à faire enseigner les mathématiques par exemple à des titulaires certes d’un master mais n’ayant comme base que leur souvenir de …primaire Au moins les anciens instituteurs recrutés par les Ecoles Normales avaient passé un bac généraliste, le bac sciences ex. .

Par ailleurs les. mécanismes d’orientation conçus comme une belle horlogerie sont en fait un instrument de production des différenciations et inégalités sociales….

Le texte de 1994 d’Alain Mingat Professeur à l’Université de Bourgogne a conservé toute son actualité , sauf exceptions ponctuelles .

« l’analyse du mécanisme montre que la procédure consiste d’abord à demander aux familles quels sont leur souhait d’orientation de leurs enfants, et les familles économiquement et socialement défavorisées ont tendance à demander des orientations modestes quand les résultats des enfants sont moyens alors que les familles aisées demandent de meilleures orientations indépendamment des résultats scolaires et les conseils de classe ont en moyenne une forte propension à accepter les propositions familiales si elles ne sont pas extraordinairement déraisonnables , sans proposer une orientation meilleure aux enfants d’origine modeste qui ont des résultats convenables mais qui ne l’ont pas demandées. »

Même si quelque progrès ont pu être fait ces dernières années les parents de familles pauvres ou modestes ont encore tendance à croire sans discuter ce qu’on leur dit alors que l’orientation n’est pas une science exacte Ils ont la foi du charbonnier et souvent ont peur du milieu éducatif dont ils ne conservent pas toujours un bon souvenir .

Face à une telle situation j’avais élaboré, en ma qualité de médiateur de l’éducation nationale, non pas des prescriptions ou des procédures comme a trop tendance à le faire …mais une Charte du dialogue entre le parent et l’enseignant destinée à baliser ce qui peut être demandé par chaque interlocuteur sans risquer de pénétrer dans son champ personnel qu’il considère comme inviolable. J’ai obtenu un succés d’estime de plusieurs ministres mais l’institution a préférè poursuivre dans la voie incertaine de la prescription alors que là ou des chefs d’établissements ont adhéré à la démarche les relations ont plutôt été apaisées …

En bref nous devons à tous les niveaux aider ces familles pauvres ,faire ce que nos instituteurs en véritables pédagogues, au sens antique du terme, ( chez les Grecs et Romains le pédagogue est celui qui accompagne l’enfant à l’école….)ont fait avec les enfants de paysans

En effet , la méconnaissance des subtilités de procédures est un handicap pour les non initiés culturels et a des conséquences insoupçonnées Elle pénalise les familles pauvres qui d’une part se perdent dans le maquis de nos procédures et d’autre part font preuve d’une absence d’ambition alors que ce dernier point est un élément essentiel de la réussite .

Lorsqu’en 1998. J’ai crée le réseau des médiateurs académiques mon objectif central visait clairement les rapports souvent compliqués des parents fragiles face à l’institution et ses acteurs.

« quand les parents ont un projet , les enfants ont un destin «  écrit Jean Paul Sartre

L’ouvrage de JP Delahaye contient bien d’autres points qui insidieusement pénalisent les plus fragiles sans que. cela émeuvent le moins du monde Il cite la semaine de 4 jours approuvées par les classes moyennes et supérieures mais une catastrophe pour les milieux défavorisés. La durée des vacances scolaires n’est manifestement pas favorable aux familles pauvres …

Quant aux ZEP, domaine qu’il connait très bien et que j’ai aussi étudié ,s’il reconnait leur utilité incontestable , il pointe le fait que les moyens qui leurs sont alloués comme je l’ai dit précédemment sont bien peu de choses comparés aux dotations consacrées à d’autres secteurs .

J’ajoute que je viens de prendre connaissance du rapport d’information Chudeau. (juillet 2023) qui préconise de « recentrer l’éducation prioritaire sur les REP+ et mettre en place une alternative de moyens progressifs » orientations qu’avec ma collègue C Moisan nous avions affichées dans deux rapports de 1997 ( rapport sur la carte et rapport sur les conditions de la réussite ) mais qui avait été écarte au bénéfice d’un élargissement (dilution ?) des. zones ..Que de temps perdu malgré les nombreux travaux qui ont suivi.

Pour tenter de conclure (modestement et sans doute provisoirement )

L’intervention de JP Delahaye a constitué pour notre auditoire un éclairage fondé sur des faits qui ont pu surprendre quelques uns et loin de tout misérabilisme

A aucun moment il n’a donné l’impression qu’il fallait se diriger vers une école pour les pauvres , renonçant à l’ambition républicaine. Pas de pauvre école pour les enfants pauvres aurait il pu dire

Le m^me niveau d’exigence mais. une démarche pédagogique adaptée…..

J’ajouterai personnellement les points suivants:

  1. Il faut cesser de monter en épingle la réussite de quelques enfants de pauvres et e, faire des alibis pour justifier en fait l’ensemble des inégalités scolaires ( je sais de quoi je parle moi aussi …) et plutôt se battre non pour une école copie conforme de la société mais au contraire une école contre société , en ayant conscience que notre école même plus. performante n’est pas la seule responsable surtout dans une société de plus en plus libérale . Elle est m^me moins inégalitaire que la société et doit poursuivre ses efforts en direction des plus pauvres.
  1. Méfions nous du terme méritocratie qui aussi sympathique soit il ,cache en fait un piège.

Il faut certes valoriser le travail et la réussite mais une compétition équitable exige que tous les enfants, bien sur les plus pauvres économiquement et culturellement aussi , bénéficient de ces m^mes conditions pour atteindre une réelle égalité des chances .

Mais soyons réalistes l’école ne résoudra pas le problème seul m^me si elle permet d’améliorer la situation

Accroître les revenus des familles modestes et pauvres est selon l’INSEE aussi, sinon plus efficace que l’effort pédagogique en direction des enfants concernés Alors serrons les coudes ensemble et luttons aussi en m^me temps contre la pauvreté.

Il nous faut un choc contre la pauvreté et un choc PISA à l’allemande , sans oublier que les efforts importants demandés aux enseignants allemands se situent dans un contexte ou leur rémunération est le double de celle des Français !

N’oublions pas que les pauvres ne veulent pas une aumône type 19° siècle C’est une question de dignité. Il faut leur donner des moyens pour être. à niveau et non des mesures particulières qui ressemblent aux quotas américains

Ainsi je suis trés opposé au concours spécifique réservé aux boursiers pour entrer à l’INSP !ex ENA )…..

  1. Il faut une nouvelle nuit du 4. Aôut ,un choc à l’allemande mais certainement pas en ayant recours aux méthodes du passé qui semble avoir la préférence de l’actuel ministre qui prône par exemple le retour à des écoles normales…… du….xxi°sicle, la création de classes de niveau, la suppression de l’hétérogénéité des classes, la mise en cause des cycles voire la nationalisation des manuels !!!!! (voir le café pédagogique du 6octobre. 2023 « Attal :gagner la bataille du niveau avec les idées d’avant hier …é.)

4-Enfin je suis perplexe lorsque j’entends que les enfants pauvres sont les mieux placés pour agir contre la pauvreté L’analyse du phénomène des transclasses montre que rien n’est automatique et il y a des contre exemples qu’entre fierté et honte il y a place pour l’action tout simplement et un peu d’imagination

Jacky Simon VP. de Démocraties _ le 8 octobre 2023